Du kimono à « l’Habillé » 

Lorsque j’ai décidé de faire le grand saut de l’entrepreneuriat, j’avais surtout des mots-clés en tête : savoir-faire, authenticité, durabilité, beau, utile, quotidien… Au fil de mes réflexions, un processus créatif s’est mis en place naturellement, sans que je m’en rende vraiment compte. En me nourrissant de diverses sources d’inspiration, j’ai finalement abouti à cet objet fétiche du quotidien : le kimono.

J’en avais déjà une petite collection personnelle constituée de quelques modèles rapportés d’ailleurs ou qui m’avaient été offerts. J’ai réalisé que cet « objet » revêtait plusieurs dimensions : une dimension quotidienne du fait de son usage régulier, mais aussi une dimension extraordinaire du fait de ses différentes provenances, souvent exotiques, et parce qu’il est parfois offert pour une occasion particulière. 

Kimono ou peignoir homme et femme exposition

Exposition Kimono, Musée du Quai Branly, 2022.

Ainsi, le kimono ou le peignoir est devenu pour moi l’objet « parfait » : un vêtement à la fois utile et confortable, associé à des instants plaisants du quotidien, mais pas un vêtement ordinaire pour autant. Son histoire, ses origines, son influence, sa place dans les représentations artistiques, lui confèrent une grande profondeur et lui donne beaucoup de sens. Sa beauté dans la simplicité absolue des lignes et l’élégance universelle de sa coupe en fait un véritable créateur d’émotions. 

Obsédée par ce sujet, j’ai commencé à voir des peignoirs et des kimonos partout : dans la rue, dans les livres, et surtout au cinéma ! Cela ne faisait que confirmer mon sentiment : ce vêtement est d’une très grande banalité car il est omniprésent, mais la façon dont il est porté et le rôle qu’il semble jouer lui donne une grande valeur et un caractère précieux. Il peut donc parfaitement réconcilier le quotidien et l’extraordinaire !

La présence du kimono ou du peignoir dans le cinéma entretient certainement la fascination qu’on peut avoir pour ce vêtement. Dans presque tous les films, apparaît à un moment ou à un autre une « scène du peignoir ». Selon la façon dont le vêtement est porté, sa coupe (courte ou longue), son étoffe (en soie précieuse ou en coton éponge), il donne le ton de la scène et permet de mieux cerner le personnage. Deux exemples antagonistes ont, entre autres, nourri mes inspirations : celui du peignoir du « Dude » dans The Big Lebowski des Frères Cohen (1998) et celui de la robe de chambre de Vivian (Julia Roberts) dans Pretty Woman de Gary Marshall (1990).

The Big Lebowski, Joen & Ethan Cohen, 1998.

Dans The Big Lebowski, le peignoir en éponge est l’attribut indissociable du personnage principal. Ce vêtement casual, porté en intérieur mais aussi pour faire ses courses (plutôt par paresse que dans une intention de style) est un élément clé de la personnalité du Dude qui apparaît au premier regard comme un loser, mais s’avère avec le recul une véritable icône du « cool ».

Pretty Woman, Gary Marshall, 1990.

Quant à Vivian, dans Pretty Woman, elle porte une magnifique robe de chambre en soie à motif floral, dont la longueur et les larges manches rappellent celles du kimono, dans une scène pivot du film : on est à l’heure du petit déjeuner, dans la suite luxueuse où elle est logée par son client, avec ce long peignoir elle semble avoir pris possession des lieux, elle est chez elle, et surtout elle affirme pour la première fois ses choix et elle explique à Edward (Richard Gere) quels sont ses rêves, ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas… 

Pretty Woman, Gary Marshall, 1990.

A travers ces exemples fictionnels, j’ai aimé imaginer comment ce vêtement peut jouer un rôle dans la vie de tous les jours, apporter du réconfort, agir comme un repère en étant lié à des gestes rituels, donner confiance en soi… 

En japonais, « kimono » signifie tout simplement « chose que l’on porte sur soi ». C’est LE vêtement par excellence, pour les hommes comme pour les femmes. Tout en étant emblématique et très courant dans la culture japonaise depuis des siècles, il est associé à des rituels et des codes très stricts. Découvert en Occident à partir du XVIIème siècle à travers les premiers échanges commerciaux textiles entre les Japonais et les Hollandais, le kimono est rapidement adopté par les Européens dans une forme occidentalisée et un usage domestique. Ces « robes de chambre » ou « indiennes » très à la mode au XVIIIème deviennent un marqueur social en tant que tenue d’intérieur associée aux écrivains philosophes et à la haute bourgeoisie.

“Housecoat” masculin, XVIIIe s., collection du Rijks Museum

Au XIXème siècle, dans le contexte du mouvement orientaliste dans les arts et la littérature, le kimono gagne en popularité et en influence sur la mode : à travers ses tissus et motifs emblématiques employés pour la confection d’autres vêtements de la garde-robe féminine, et à travers les éléments de son patronage : coupe droite en T et larges manches. Au début du XXème siècle, le couturier Paul Poiret opère une révolution dans l’histoire de la mode en libérant le corps des femmes du corset et en introduisant des coupes droites largement inspirées des lignes du kimono. Cette influence se retrouve tout au long du XXème siècle jusqu’à nos jours. 

Robe Paul Poiret, 1920

La richesse de l’histoire du kimono et ses nombreuses influences en font un sujet bien plus profond qu’on pourrait le croire… Au-delà de son rôle dans la sphère individuelle, sa place dans l’histoire de la mode témoigne aussi d’un rôle sur les modes de vie et les mœurs au sein de la société, jusqu’à atteindre une dimension politique (libération du corps féminin). 

Compte tenu des multiples facettes et nuances de ce vêtement, et aussi dans un souci de respect de la culture du kimono japonais, j’ai souhaité donner un nom propre au modèle de la collection d’Usages. Tout en revendiquant mes inspirations, il m’a semblé juste de lui donner une identité singulière. Je suis revenue au champ lexical français du peignoir et j’ai voulu faire un clin d’œil au « déshabillé » dont les caractéristiques très féminines et intimes sont à l’opposé de notre modèle qui a une vocation unisexe et dont les usages sont multiples en intérieur comme en extérieur. Ainsi est né « l’Habillé », un vêtement qui habille parce qu’il couvre et assure cette fonction très pratique, et parce qu’il donne de l’allure à toutes les silhouettes. 

Quant aux étoffes et aux couleurs de la collection, j’ai souhaité qu’elles soient cohérentes avec les origines de ce vêtement et qu’elles reflètent les différents sens et usages qu’on peut donner à l’Habillé. Je me suis naturellement tournée vers la soie, dans l’ADN du kimono original, mais j’ai voulu qu’elle soit unie pour un résultat simple et épuré. De façon complémentaire, j’ai choisi le coton, qui évoque davantage le quotidien mais dont l’identité est forte et marquante avec cette large rayure graphique. A mon sens, l’association de ces deux types d’étoffe et la confrontation de l’uni à la rayure permettent d’aboutir à un ensemble harmonieux, comme une synthèse personnelle de ce que représente ce vêtement à mes yeux. 

J’espère que la lecture de ce modeste résumé de mes recherches et inspirations vous aura encouragé à cultiver le goût de ce vêtement iconique… et contribuera à vous faire aimer votre « Habillé » autant que j’ai aimé le concevoir !


Sources :

Kimono, catalogue de l’exposition, Musée du Quai Branly, 2022.

Histoire de la mode du XVIIIe au XXe siècle, The Kyoto Costume Institute, 2002.

Collection permanente du Musée des arts décoratifs de Paris.

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