Histoire d’une passion pour la rayure
Je n’avais pas prévu de « faire de la rayure ». Lorsque que j’ai commencé à travailler sur la collection, j’avais une idée très épurée des modèles. De la soie, des cotons précieux, de l’uni, des couleurs associées à l’histoire de ces vêtements iconiques pour un ensemble doux et harmonieux.
Mais quand on travaille avec des tissus upcyclés, on n’a pas toujours le choix des couleurs et des motifs, on compose et on nourrit son processus créatif avec ce que l’on trouve.
C’est ce qui s’est passé quand je suis tombée sur les deux derniers rouleaux de ce tissu à larges rayures noires et blanches... Je ne les ai pas pris tout de suite mais j’y ai songé toute la soirée. Cette rayure était trop impactante, et ce coton d’une douceur absolue ! Le lendemain, je me suis précipitée de nouveau chez mon fournisseur et je suis rentrée avec, sans savoir encore ce que j’allais en faire mais avec la conviction que c’était la bonne décision.
En la confrontant au reste de mon travail, ça a fait « tilt ». Tout était plus beau à côté de cette rayure. Elle se suffisait à elle-même, et elle avait aussi le pouvoir de valoriser ce qui l’entoure. J’ai remarqué qu’elle était présente sur nombre de mes images d’inspiration, notamment celle d’Audrey Hepburn par Mark Shaw en short et chemise blanche oversize, assise sur un canapé… à larges rayures !
Tout prenait plus de sens, cette rayure donnait une identité plus forte et plus sincère à Usages.
Mais comment faire une fois ces deux rouleaux épuisés puisque c’était les derniers ? Je me suis alors lancée dans une recherche de salons en salons, de fournisseurs en fournisseurs, avec la contrainte de conserver un circuit court et un approvisionnement le plus local possible. C’est finalement en Espagne que j’ai trouvé un tissu identique, d’une exceptionnelle qualité, disponible régulièrement dans différentes teintes. Voilà d’où vient notre modèle à rayures jaunes et blanches.
Pour mieux comprendre cette rayure fascinante, je me suis plongée dans les travaux de l’historien Michel Pastoureau qui a beaucoup écrit sur la symbolique des couleurs et des motifs. Je vous en livre une petite synthèse, qui éveillera peut-être votre intérêt pour nos pièces confectionnées avec passion pour ces étoffes à rayures audacieuses, voire un peu « barrées » …
Au Moyen-Age, les surfaces rayées dont on ne distingue la figure du fond sont considérées comme diablerie. Elles sont réservées aux marginaux de la société : lépreux, prisonniers, saltimbanques.
La rayure acquière ses lettres de noblesse au XVIIIe siècle : elle recouvre les surfaces intérieures cossues sous forme de tissus d’ameublement et tapisseries. Puis on la retrouve sur des étoffes précieuses pour l’habillement, c’est la rayure romantique.
La rayure triomphe à l’époque révolutionnaire et prend une symbolique politique et patriotique en s’affichant sur les drapeaux et les vêtements des sans-culottes.
Au XXe siècle, elle devient indissociable du monde marin et balnéaire, c’est aussi la rayure hygiénique que l’on retrouve sur le linge de maison et les sous-vêtements.
Encore aujourd’hui, la rayure a cela de particulier qu’elle est toujours ambivalente. Elle est classique et intemporelle quand elle est fine ou pastel et qu’elle orne une chemise ou une barboteuse. Elle est rebelle et provocante quand elle est large et graphique et qu’on ose l’arborer sur une pièce maîtresse de son dressing ou l’utiliser en architecture intérieure.
La rayure est partout. Mais elle marque les esprits et devient iconique selon ses applications, en particulier dans l’art. Le maître Daniel Buren en a fait la démonstration.
Avec ses diverses significations et symboliques, la rayure est forte d’une longue histoire culturelle et elle n’est jamais neutre…
Alors… allez-vous oser ?
Sources :
Rayures, une histoire culturelle, Michel Pastoureau, 2021
L’étoffe du diable, une histoire des rayures et des tissus rayés, Michel Pastoureau, 1991